L?aspect des Tuileries au début du règne
Au début du règne de Louis XIV, l?aspect du palais des Tuileries n?avait guère changé depuis le début du XVIIe siècle. En effet, les dernières modifications dataient de la liaison du château du Louvre au palais des Tuileries avec la construction de la Grande Galerie le long du quai, du pavillon de Flore à l?angle et de la Petite Galerie en retour d?équerre. Cette première amorce du célèbre « Grand Dessein » des rois de France, instigué par Henri IV, fut réalisé en deux tranches de travaux par les deux grands architectes de leur temps : Métezeau pour la partie orientale de la Grande Galerie, et par Androuet du Cerceau pour la partie occidentale.
Ainsi les Tuileries présentaient un aspect inachevé puisqu?il manquait au nord du corps central du palais le pendant de la Petite Galerie au sud.
Le chantier de la Salle des Machines
Cette demeure était inhabitée depuis le départ de la Grande Demoiselle, cousine de Louis XIV, qui se vit exilée après ses attitudes peu loyales durant la Fronde. Plus rien ne se passait jusqu'à ce que Mazarin décida de poursuivre le Grand Dessein avec la construction d?une salle de spectacles : la célèbre Salle des Machines.
On pensa immédiatement à donner le pendant qui manquait au niveau de la partie nord du palais et cela donnait en plus la possibilité d?achever un côté de l?immense quadrilatère palatial rêvé par la monarchie. Ce chantier fut à l?origine confié à un grand architecte italien, Gaspard Vigarani, mais de vives querelles avec l?architecte du Roi, Louis Le Vau et les corps de métiers français sur l?aspect extérieur de la salle aboutirent à une demie disgrâce et l?architecture extérieure lui fut retirée au bénéfice de Le Vau. Ce dernier conçut le pavillon du théâtre, l?aile nord et le pavillon de Pomone (aujourd?hui pavillon de Marsan) sur le modèle de ce qui avait été fait le siècle d?avant par Jean Bullant et Jacques Androuet du Cerceau.
Une symétrie respectueuse de l??uvre déjà accomplie prima donc sur l?originalité afin de donner la grandeur nécessaire à cette immense suite de bâtiments de 328 mètres de long. Vigarani réalisa tout de même l?intérieur, magnifiquement doré, de l?amphithéâtre de la Salle des Machines, dont le nom venait des machines de l?immense scène qui permettaient le ballet des décors de théâtre.
Tout ce travail s?effectua de fin 1659 à 1662. Ce chantier s?inscrivait dans les démonstrations brillantes que Louis XIV, jeune Roi de 24 ans, désirait pour affermir sa gloire, comme le fut le Carrousel.
Le Carrousel de Louis XIV
En cette année 1662, le premier anniversaire de la naissance du Dauphin fut l?occasion pour le jeune Roi aimant le paraître, de célébrer une fête grandiose. Elle le fut au point que le lieu où elle se produisit rappelle encore de nos jours ce Carrousel de 1662, c?est bien sûr l?actuelle esplanade du Carrousel entre l?arc du même nom et l?emplacement du palais disparu.
Plus de mille personnes, dont les hauts dignitaires de la cour, présentèrent sous l?égide du monarque un sublime spectacle le 5 juin 1662.
Cette brillante représentation montra que le centre momentané de la France était bien aux Tuileries. Elles le resteront encore quelques années avant d?être irrémédiablement détrônées par Versailles.
La restructuration du palais
Le Louvre constituant un éternel chantier et n?ayant rien des attraits requis pour une résidence moderne, Louis XIV n?aimait guère y séjourner, d?autant plus que le Louvre est bien trop près des tumultes parisiens qui ont traumatisé son enfance. Le vaste chantier de quadruplement de la Cour Carrée n?était encore qu?un projet où se mêlaient les querelles d?architectes et l?on ne pouvait donc pas compter sur une rapide remise en état du vieux château du Louvre.
Ainsi tout cela encouragea le Roi à se plaire des grands espaces éloignés de Paris que lui offrait le petit château de Versailles, bâti par son père Louis XIII. Ainsi dès le début des années 1660, le jeune Roi commençait à fuir la capitale mais il avait encore besoin d?affermir le nouvel ordre qu?il souhaitait établir.
L?intervention décisive de Colbert
Colbert, principal ministre qui voyait d?un mauvais ?il cette séparation entre Roi et capitale, intervint personnellement au risque d?une disgrâce et propose un compromis au Roi : il se chargerait de réaménager le palais des Tuileries afin d?en faire une demeure royale digne du souverain avec un sublime jardin permettant, en cas de conflit, une retraite aisée vers l?ouest. En 1664, le Roi donna son accord à Colbert : le chantier pouvait commencer.
Ainsi, l?impulsion qui donna aux Tuileries le dernier visage qu?elles garderont jusqu?à la fin et qui en fit une véritable résidence royale était en grande partie l??uvre de Colbert.
En marge des travaux du palais, de 1666 à 1672, Colbert chargea André Le Nôtre de repenser le Jardin des Tuileries dont les allées et les proportions s?organisèrent alors sur le dessein du palais. Le jardin était ainsi le véritable reflet paysager du palais et ses magnifiques parterres de broderies et ses bosquets de verdure constituaient un agrément de choix pour le jeune Roi.
Transformations extérieures
Louis Le Vau, assisté par François d?Orbay, commença par transformer l?ensemble du corps principal du palais. Le pavillon central fut considérablement agrandi, surélevé d?un étage et coiffé d?un immense dôme quadrangulaire. L?ensemble des bâtiments reçut un second étage mais l?architecture d?origine du rez-de-chaussée fut conservée par Le Vau. Il est vrai que cette composition de Philibert de l?Orme datant des années 1560 était magnifique et unique.
Le Vau fit encore preuve de respect vis à vis de ces prédécesseurs. Cependant, il sacrifia le célèbre escalier central pour construire les Vestibules et un Grand Escalier de côté pour une circulation plus aisée entre cour et jardin. Enfin, la Petite Galerie, qui devint la Galerie des Ambassadeurs, fut doublée côté jardin mais Le Vau respecta l?architecture d?origine.
Ces aménagements extérieurs ne prirent que deux ans de 1664 à 1666.
Transformations intérieures
L?aménagement intérieur fut confié au premier peintre du Roi, Charles Le Brun. Il pensait l?aménagement général et les thèmes de chaque pièce du palais puis confiait les projets et les esquisses approuvés par Colbert aux peintres de la nouvelle Académie de peinture. On retrouvait parmi eux Noël Coypel, Nicolas Mignard, Nicolas Loyr ou encore Philippe de Champaigne. Ceux-ci étaient les meilleurs artistes de leur génération et ils avaient une grande liberté d?interprétation des idées de Lebrun qui supervisait l?ensemble des réalisations mais qui n?a apparemment jamais pris son pinceau pour intervenir directement.
Le Roi eut plusieurs appartements au palais. Le plus magnifique était le Grand Appartement au premier étage côté cour, doublé du Petit Appartement côté jardin, plus intime mais tout aussi somptueusement décoré. Le Grand Appartement se développait en enfilade du pavillon central au pavillon de Flore par une succession de salons et d?une galerie : la Galerie des Ambassadeurs dont le décor était composé de copies de la galerie Farnèse. Les salons avaient pour thème principal la légende d?Apollon auquel s?identifiait souvent Louis XIV. Le Roi avait également un Appartement au rez-de-chaussée dont les dispositions se calquaient sur celles du premier étage et qui servait à exposer les collections royales. Ici, l?iconographie était plus orientée vers le mythe d?Hercule, grand héros grec qui devait également inspirer le jeune Roi guerrier.
L?Appartement de la Reine était situé au premier étage côté jardin dans l?aile récemment doublée par Le Vau. La décoration était l??uvre de Jean Nocret et le thème majeur était Minerve, déesse grecque de la Sagesse et de la Guerre.
Juste au dessous se trouvait l?Appartement du Dauphin avec les mêmes dimensions et dispositions que celui de la Reine. Lebrun avait choisi l?éducation d?Achille pour décorer les pièces et c?est Jean-Baptiste de Champaigne qui fut chargé de peindre ces compositions.
La Chapelle Royale fut aménagée entre le pavillon central et la Salle des Machines mais la décoration ne fut pas très approfondie.
Il en était de même pour l?immense Salle des Cent-Suisses qui prenait les deux étages du pavillon central mais qui ne reçut jamais de décoration.
Ces travaux de décoration eurent des durées de réalisation très différentes. Pour certains appartements l?ensemble était achevé dès 1668 mais certains chantiers furent endeuillés et le travail prit plus de temps. La décoration fut achevée en 1671, en tout cas elle ne fut plus retouchée même s?il y avait des manques et des ?uvres inachevées.
Une ?uvre inachevée
L?ensemble tant désiré par Colbert ne fut pas complètement mené à son terme. Dès 1671, les chantiers sont arrêtés mais la situation était problématique dès 1666 puisque les dépenses étaient moins facilement couvertes et les artistes des chantiers devaient attendre des mois pour être payés.
En effet, les dépenses se déplaçaient de plus en plus vers Versailles, véritable passion de Louis XIV. Le départ du Roi en 1671 sonna le glas des Tuileries comme résidence royale de premier plan. Le Roi emmena tous les artistes avec lui à Versailles et les chargèrent de l?agrandissement du petit château.
Le palais endormi
Le palais fut confié à un concierge qui se chargeait des inspections. L?entretien et les petites réparations lui incombaient également. Cependant, le budget alloué aux Tuileries s?étant effondré avec le départ du Roi, les opérations d?entretien courant se devaient d?être les plus minimes possibles. Ainsi certains décors souffrirent de ce manque d?attention, notamment la Salle des Machines dont les peintures du plafond s?abîmèrent rapidement.
Le palais endormi ne se réveilla qu?au moment où Louis XV fut ramené à Paris.
La réussite posthume de Colbert
On serait tenter de dire que le v?u de Colbert de faire des Tuileries le centre de la France fut un échec. Il le fut dans un premier temps mais c?est l?aspect que Colbert donna aux Tuileries qui traversa les siècles et c?est entre ces murs que se jouèrent les grands évènements politiques français de 1789 à 1871. Enfin, le Grand Appartement de Louis XIV traversa tous les tumultes révolutionnaires sans réel dommage et ce fut le seul lien entre toutes les périodes tant tragiques que brillantes que connurent les régimes français dans cet épicentre de l?Histoire de France. C?est donc bien son ?uvre qui traversa les siècles jusqu'à cette tragique soirée du 23 mai 1871.
Guillaume CRIEF