L?Opéra ayant à peine quitter les Tuileries au mois de janvier que la troupe de la Comédie-Française s?y installa en avril 1770. L?ancienne salle de la Comédie avait trop mal vieillie pour être commodément utilisée.
Rapidement installée, la troupe se produisit pour la première fois le 23 avril 1770 avec Phèdre et l?Ecole des Maris, devant un public comblé.
La
Comédie resta douze ans dans la Salle
des Spectacles des Tuileries. Cette longue période fut
très créative avec des succès considérables
emprunts de philosophie des Lumières. Ce succès des
représentations était parfois tel que la garde du
palais devait intervenir afin que seules les personnes ayant un
billet, puissent entrer comme ce fut le cas en 1772 lors des débuts
de la célèbre Madame Raucourt à la Comédie.
Les nombreuses visites royales, avec notamment Marie-Antoinette, Dauphine puis Reine de France, honorèrent cette prestigieuse adresse et assurèrent ce succès triomphant de la Comédie-Française lors de son passage aux Tuileries. Ainsi le 23 juin 1773, la Dauphine vint assister en compagnie de son époux le Dauphin aux présentations du Siège de Calais de Pierre Buirette de Belloy et du Legs de Marivaux.
La
Salle de Spectacles de Tuileries reçut également la
visite de souverains étrangers de tout premier ordre comme
l?Empereur d?Autriche Joseph II qui assista auprès de sa
s?ur, la Reine Marie-Antoinette, à une représentation
en 1777. De même, le futur Tsar Paul Ier vint applaudir la
troupe en 1781.
Parmi les grands succès qui firent la gloire de la Comédie-Française et qui permirent la diffusion de la philosophie des Lumières et des critiques de la société de l?époque, Le Barbier de Séville de Beaumarchais tenait une place importante en compagnie d?Irène, la dernière pièce de Voltaire.
La très célèbre pièce de Beaumarchais fut jouée pour la première fois le 23 février 1775 et l?humour de Figaro fut diversement interprété par l?assistance.
Irène
fit sa première le 16 mars 1778 en présence d?un
public de choix puisqu?il n?y avait pas moins que la Reine
Marie-Antoinette, sa belle-s?ur Madame
Elisabeth, et son beau-frère le Comte d?Artois, futur
Charles X.
Ce n?est que peu de temps après, le 30 mars 1778, qu?eut lieu le triomphe de Voltaire par les comédiens-français auquel se joignit l?ensemble de l?assistance présente ce soir là. Elle comptait parmi elle des invités royaux tel que le Duc de Chartres, fils du Duc d?Orléans et futur Philippe-Egalité, ainsi que le Comte d?Artois.
Cet
hommage général eut son paroxysme lorsque les comédiens
tenant des guirlandes de palmes, installèrent un buste de
Voltaire couronné au milieu de la
scène sur un piédestal. Madame Vestris, célèbre
actrice, lut des vers du Marquis de Saint-Marc :
«Aux
yeux de Paris enchanté
Reçois
en ce jour un hommage
Que confirmera
d?âge en âge
La sévère
Postérité
Non tu n?as pas
besoin d?atteindre au noir rivage
Pour jouir des
honneurs de l?Immortalité.
Voltaire, reçois
la couronne
Que l?on vient
de te présenter.
Il est beau de la
mériter
Quand c?est la
France qui la donne. »
La foule en délire demanda une seconde lecture de ces vers puis les comédiens couronnèrent le buste de Voltaire de leurs guirlandes et le baisèrent tous.
Ensuite, après des vagues interminables de saluts hystériques, une pièce du philosophe fut jouée, Norine, mais durant toute la représentation le buste resta en place sur le côté droit de la scène. Pendant cette pièce, le Comte d?Artois, ne désirant pas être vu, se rendit discrètement jusqu?à Voltaire et le félicita personnellement.
A la fin de la pièce de nouvelles salves de saluts abrutirent la salle et elles rendirent Voltaire encore plus mal-à-l?aise qu?il ne l?était déjà par ces débordements, bienveillants certes, mais totalement délirants. Il ne put même pas partir car dehors la foule empêchait les chevaux de son carrosse d?avancer. Certains embrassèrent même les chevaux et voulaient se mettre à leur place pour avoir l?honneur de tracter la voiture du philosophe. Cette hystérie contagieuse continua tout le long du retour du philosophe. Heureusement, il habitait juste de l?autre côté de la Seine, sur le quai qui porte aujourd?hui son nom.
Voltaire fut en réalité très indigné par ce spectacle inimaginable et il ne supportait pas que certains essayent de se mettre à la place des chevaux. Il s?en est voulu et il se dit qu?il n?aurait pas dû aller aux Tuileries ce soir là.
Outre cette scène, les Tuileries furent le berceau de quatre-vingts créations. Toutes ces pièces étaient de genres très différents et leurs présentations alternaient avec les pièces déjà existantes du répertoire.
La toute dernière représentation fut donnée le 16 mars 1782 et c?est le 9 avril que la Comédie-Française quitta définitivement les Tuileries pour s?installer dans leur nouvelle salle qui est de nos jours l?Odéon.
Guillaume CRIEF